Le mystère du Serpentin

L'île n'est définitivement pas déserte. Nous devons être 10 sur ces 54km2...

R appelez-vous, mais si ! J’ai visité les grottes de Cook et je me suis endormi sous les étoiles.

Ce matin, chaque pas me fait découvrir un mètre de plus de Tofua. Je laisse les herbes et atteins une steppe brûlée. Je la traverse en diagonale pour croiser une piste. Pas évidente mais je l’ai. Et une bonne. Quelques coquillages à l’ombre d’un arbre indiquent un lieu de pause. Quelques traces de pas dans la cendre. De nouveau perdu, ce sont des restes de canne à sucre qui me remettent en selle droit vers un sentier bien marqué. Le terrain est très accidenté ça monte de 20 mètres, descends de 20 mètres et ainsi de suite… J’ai l’impression de marcher dans l’empreinte d’un géant, l’empreinte de Tofua, de passer d'un sillon à l’autre. J’arrive à ma limite d’éloignement. Après je n’ai plus assez d’eau. Mais le sentier est trop bien tracé. Quelque chose se cache derrière. Des branches sont fraichement coupées. On est passé par là il y a peu. J’accélère, je sue à grosses gouttes, mais chaque pas est un pur plaisir. Soudain, Mako aboie. Je me fige. Quelque chose bouge dans les fourrés. Mako se cache derrière moi. J’ai envie de me cacher derrière Mako. Plus rien. J’avance à pas feutré. En haut des 20 mètres, des picotements me parcourent l’échine. Est-ce ce qu’ont ressentis les marins explorateurs en découvrant Tofua ? Moi, je découvre un toit blanc identique à la réserve d’eau de la plantation. J’avance doucement guidé par la curiosité. Mako aboie sérieusement cette fois. D’autres chiens nous tombent dessus l’air féroce, rattrapés de justesse par leurs propriétaires.

Ils sont quatre. Nous avons échangés 3 mots “Hello”, “Lofi” et “Yesterday”. Quand j’ai prononcé “Lofi”, l’ambiance s’est décontractée, ils m’ont souri et fait signe de les suivre. Installé dans leur campement j’essaie d’échanger avec eux. La compréhension est complexe. Ils rient, ils fument, ils jouent aux cartes, ils m’ignorent comme un pot de fleur sur une terrasse. Au milieu d’eux, relayé au statut d’objet, je ressens encore plus la solitude qui m’a accompagné ces derniers jours. Puis j’accepte la situation. De toute façon, trop tard pour rentrer chez moi. Je les regarde jouer aux cartes sans comprendre jusqu’à ce que nuit se fasse.


Nous sommes dans une grosse cabane. Un serpentin anti-moustique fume tranquillement au milieu de la pièce. Je demande s’ils ont mis le serpentin pour moi. On me répond “Mosquito”, je creuse, je demande si le serpentin était là hier. On me répond “Mosquito yesterday”.
Ils sont six maintenant. Je leur donne un surnom à chacun en fonction de leurs ressemblances. Il y a Ben Harper, Faudel, Dieudonné, Voulzy, Zlatan et l’illustre inconnu. Dans la cabane, une étrange odeur pique le nez. C’est horrible, je me rends compte qu’ils sentent tous bons d’une douche prise juste avant. L’odeur étrange, c’est moi et mes pieds. J’ai comme une prise de conscience. L’aventure n’empêche pas une douche de temps à autre…
Voulzy est devant un grand saladier. A intervalles réguliers, il sert une noix de coco que l’on se transmet de main en main. Le destinataire boit cul sec. Il n’y a que Voulzy qui m’adresse la parole. Il me dit “rugby” je réponds “Yes, rugby in France“, il continue “rugby yesterday”. Il me dit “Lofi”. Je réponds “Yes, I came here with Lofi” et lui de poursuivre “Lofi yesterday”. Les noix de coco défilent. C’est du kava. Une sorte de bière locale obtenue à partir de racines broyées. Amer, sans alcool, cette boisson provoque les même effets mais sans la gueule de bois du lendemain. Voulzy me fait découvrir l’étendue de son lexique, “Volcano”, “Pig” et “Beach” en y accolant “Yesterday” à chaque fois. Je ne sais pas quoi comprendre. Car si je résume, il a joué hier au rugby avec Lofi devant le volcan qui fumait. Il a aussi été à la plage hier et a vu des cochons...
On se détend. On rit. Ils commencent à chanter. Avant de me coucher je demande une dernière fois pour le serpentin. Voulzy répond “Mosquito yesterday”. Je rigole. Tout le monde rigole. Je termine tard, et m’écroule dans une cabane aménagée pour l’occasion. Je suis entouré de sacs de toiles écartés juste pour moi et de moustiques juste pour moi.

Pour la première fois, le matin est tardif. Le soleil chauffe fort. J’émerge dans un bien être profond. Comme sur un nuage. C’est l’effet Kava. On vient me chercher pour un “Humu” une cuisson par des pierres chaudes enterrées dans le sol. Puis Ben Harper m’emmène à la “Beach”.

Face à de belles vagues, je ne résiste pas. Les vagues me lavent comme une chaussette sale dans le tambour d’une machine. Je fais du body surf dans les vagues. Epuisé, allongé dans le sable noir, Faudel et l’illustre inconnu nous rejoignent. En fait ils parlent anglais mais avaient peur de s’exprimer devant moi. J’apprends que ce sont des cultivateurs de kava présents sur l’île quelques mois chaque année. Ils chassent aussi. Chacun joue avec le sable que ce soit avec les mains, les pieds, un bâton. On rigole. Je rigole et ça fait du bien. C’est comme une grande inspiration après une longue apnée. Ça y est. Mon expérience est finie. Je suis arrivé au bout de ce que je suis venu chercher. J’ai un besoin urgent d’échanger, de parler, de rire, d’apprendre de l’autre.

Sur la route du retour, je me dis “Merde ! J’ai pas demandé pour le serpentin”...

Je suis impatient de rentrer, de passer à la plantation rejoindre Lofi, lui raconter tout ça. Il me reste deux jours, je veux juste en profiter un maximum. Qu’il m’apprenne son élément, la nature. Qu’il me montre ce qu’est Tofua pour lui.


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