N’est seul que la solitude

Le temps passe et je le regarde passer. Comme les journées sont longues...

V ous êtes assis tranquillement dans votre canapé. Devant vous, certainement, trône la télévision. Votre salle à manger n’est pas loin avec sa table et ses chaises. Accolé, il y a la cuisine, son four, ses plaques, son frigo tellement pratique. Près de la chambre, quelques livres ou quelques BD. Toujours confortablement dans votre canapé, imaginez que chacun de ces éléments disparaisse un à un. Plus de télé, ni de livre, plus de lieu confortable où s’assoir, où se coucher… Puis en dernier, votre canapé disparaît. Voilà. Vous êtes dans un lieu vide. Alors ? Que faites-vous ?

C’est un peu dans ce mental que j’abordais l’expérience. En effaçant beaucoup des composantes de notre vie moderne, je souhaitais retrouver l’essentiel. Qu’est ce qui importe vraiment. Mais le revers de la médaille, c’est qu’au milieu d’une maison vide, la solitude se cache quelque part, tapie dans un coin.

La première chose qui frappe sur Tofua c’est l’isolement. Ça semble évident mais ce qui est dingue c’est que cet isolement se voit. Il se voit en observant l’horizon ; Ce n’est qu’au 20eme jour qu’un bateau est venu troubler cet horizon. Il se ressent quand on se déplace. Après mes premières sorties en forêt, le bras fatigué, la machette à réaffuter, j’ai eu une impression d’enfermement. Je ne suis pas que bloqué sur cette île. Je suis aussi enchaîné à ma cabane. Comme une clôture invisible faite de fougère, de lianes, du combat perpétuel des graines au sol pour atteindre la lumière. Un soir, je me suis vu petit point “Vous êtes ici” perdu sur Tofua, elle-même tête d’épingle sur la terre, elle-même grain de poussière dans le système solaire… J’ai eu le vertige.

L’isolement intégré, j’ai composé avec. Entouré de quatre chiens, je n’ai pas eu le temps d’y penser. Puis ça m’est tombé dessus en tête à tête avec Mako. En plus il avait sa vie (De longues parties de chasse) et j’avais la mienne (de longues parties de pêche). Alors, petit à petit les premiers signes sont arrivés. Besoin de parler, d’interagir… Ça, c’est simple, je me suis mis à parler à haute voix. Lire ce que j’écrivais. J’ai beaucoup chanté aussi. Ou mon grand jeu qui consistait à me raconter n’importe quoi. La phase deux de la solitude arrive chaque soir. Le soleil disparaît sous l’horizon, le feu s’éteint, je me retrouve dans le noir, assis dehors ou dans le hamac. Le sommeil ne vient pas car je dors près de 12 heures par nuit (Le soleil se couche vers 18h30 et se lève vers 7h30). – Et là, ce salon vide, c’est comme si j’y étais – Les premières nuits, le cerveau ne sait pas quoi faire, il part dans tous les sens. Puis soir après soir, j’avais mon rituel entre des pensées pour mes proches, des moments particuliers de ma vie, et chose très terre-à-terre mais au combien essentielle : la bouffe ! Sur ce dernier point j’ai au moins une certitude. “Bonjour, je m’appelle romain. Je suis addict aux spéculoos”...

A bien y réfléchir, ces moments-là, j’étais entre l’isolement et la solitude. Car je n’avais jamais imaginé la fameuse journée de pluie. Et j’en ai vécu quatre. Enfin j’ai survécu à quatre journées de pluie.

Je suis dans mon salon vide. Mais en fait je mens, ce salon n’est pas vide. J’y ai ajouté des nouvelles activités comme la quête perpétuelle de nourriture, les explorations. Mais le jour de pluie, non, il n’y a rien. Rien que mon hamac et le temps que je peux presque percevoir s’écouler dehors. Seconde après seconde. Et encore pire quand le moral est dans les chaussettes (humides). Puis j’ai appris à regarder. A contempler. A m’immerger. Je ne suis plus dans mon hamac à regarder le sablier du temps. J’ai conscience de faire partie du temps qui s’égrène. Que je sois dans l’action ou l’inaction. Ce moment interminable devient dauphin qui passe dire bonjour au large, tortue qui inspire profondément avant de plonger, horizon qui se trouble avant que la pluie n’arrive tout nettoyer. Ce moment, c’est un oiseau qui s’approche si près qu’en tendant le bras je peux le toucher, c’est une feuille qui danse qui se tortille avant de s’échapper pour la plus belle chute de sa vie. Tellement de choses qui se passent en quelques secondes…

Je ne savais plus regarder si ce n’était diffusé par un écran.


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