Le mirage du désert

Pourquoi les choses ne se passent jamais comme elle devraient ? Pour amener du piquant ?

J e suis chez Lofi. Mon contact sur place pour m’amener à bon port. Maison Tongane typique, simple, disons spartiate : Construction en planche de bois, sol en nappe vynile, fenêtre non vitrée, UNE prise d’électricité qui pend du plafond et eau de pluie courante en sortie de citerne. L’accueil est royal et nous dégustons un cochon de 3 mois tué pour l’occasion dont nous venons juste de terminer la cuisson au dessus d’un bon feu. En mode radar des 13 heures de décalage horaire, j'acquiesce à tout ce que me dit Lofi. -- Oui le ferry part demain à 18h. Oui j’ai l’argent pour le pêcheur qui m’amènera à Tofua, Oui et merci de m’accueillir chez toi. Oui tu viens avec moi sur l’île. “Comment ça tu viens avec  moi sur l’île ?!...”

S’en suit une longue discussion où Lofi m’explique les abandons et les mauvais retours des derniers aventuriers. Comme ce Russe, venu pour trois mois et qui a profité du passage d’un voilier pour quitter Tofua au bout de deux semaines… Il m’assure que ça ne change rien. MAIS SI ! CA CHANGE TOUT !!

Lendemain contrarié. Lofi est parti faire des courses pour son mois. Je passe la journée avec ses femmes (sa femme et sa belle mère) occupées à aplatir de l’écorce humide avec une masse en bois pour en faire du papier. Nos échanges sont légers à la hauteur de notre compréhension mutuelle. Elles me demandent des médicaments contre le mal de bras. Je pense tout haut “Pas étonnant la tendinite à taper comme ça toute la journée !”. On finit l’après midi bercé par ces tam-tams qui s’envolent de jardin en jardin. Une sorte de morse qui semble se répondre mais dont la beauté est de ne rien vouloir dire.

Après une attente interminable sous un préau géant, devant le balais des chariots élévateurs qui chargent le ferry, la foule agglutinée se laisse happer par le ventre de la bête. Pas de place assise. La règle ici, c’est de poser son sac où l’on peut et la place est réservée. Sur le pont où nous nous sommes installés il ne reste plus aucune place qu’un couloir étroit pour circuler entre les jambes assises ou allongées. Face à nous le soleil nous explose au visage dans un mélange de rouge et de noir. Brel avait bien raison…

La nuit est longue, dure, inconfortable contre l’acier peint couvert d’embruns. À une heure inconnue, le bateau s’arrête. Une flottille de petites embarcations prend le relais pour amener chaque passager sur la bonne île. Très vite, le bateau mère disparaît devenu point lumineux flottant dans l’horizon. Nous terminons la nuit, bout de cigarette rougissant de Lofi. Et au dessus, une sorte de ciel photoshopé. Une voie jamais observée si lactée. C’est comme si un peintre de génie avait passé sa vie à rajouter des points blancs dans notre ciel de France…

Déjà 4 jours que je suis parti. Je suis fatigué et impatient. Je ne sais pas si c’est une sieste ou une nuit que je fais, en tout cas je me repose.

Sur le même bateau, nous reprenons l’air du large avec Lofi et quatre chiens. Trois pour lui, pour la chasse. Un pour moi, pour éloigner les cochons sauvages. La traversée demande, patience, mental et endurance. Entre le tape cul et le mal de mer sous l'abri du bateau ou les giclées de mer et les morsures du soleil au dessus, aucune position n’est enviable. Pour rajouter, les chiens malades cherchent du réconfort en me bavant ( et c’est un euphémisme)  dessus des litres de salive. Mais la récompense arrive. Les profils de Tofua et de Kao (sa voisine) prennent forme jusqu’à occuper tout notre horizon. Puis je distingue les rochers, le vert des feuilles du marron des arbres. Le cœur est chargé en émotion alors que Lofi me lance sa seconde décharge. “Nous devons nous enregistrer aux douanes”. J’apprends que 2 gardes sont affectés sur Tofua 8 mois de l’année. L’énergie se transforme en déception. Mais Lofi insiste, l’île est déserte car non habitée tout au long de l’année. Il rigole “Même en les cherchant, tu ne les trouveras jamais ! Ne t’inquiètes pas, tu seras bien seul sur ton île” (Oui, enfin, avec Lofi…)

L’île déserte est devenue une utopie. Entre les locaux, les pêcheurs, les contrebandiers, les scientifiques, les touristes en yacht ou en voilier, chaque bout de caillou est foulé quelques jours, quelques mois chaque année. Pour trouver un désert humain, il faut chercher des lieux hostiles et inaccessibles, des terres continentales comme certaines zones de la Sibérie où seul le lichen s’y sent bien. En attendant la contrariété est bien là. Et puis...

Et puis…

Et puis les dauphins arrivent par dizaines, toujours plus nombreux. Et puis le bateau s’approche d’une côte volcanique sur laquelle on saute. Et puis on nous lance nos sacs, et puis je foule la terre sauvage de Tofua. Je pose ma main sur le sol. Ça y est j’y suis.


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