Les cinq ventres

Seul sur une île je n'imaginais pas autant de bouches à nourrir !

D eux chiens se sont mis sous mon hamac. La nuit est noire. Il pleut. L’arbre sous lequel je suis s'ajoute à mon toit pour me procurer un début de protection. Disons qu’il goutte dans ma maison. La fatigue a raison de moi. Je me réveille avant le soleil. Les chiens jappent autour de moi. Je leur donne la moitié du poisson que Lofi m’a laissé et prends une part. Je m’active autour de la maison mais il manque des feuilles tressées. Toute la matinée, je coupe et essaye de tresser ces foutues feuilles pour un résultat médiocre. À ce rythme, dans un mois j’y suis encore… Je me souviens d’autres cabanes abandonnées vues le long de la mer. Changement d’option. Trempé de sueur, je ramène une vingtaine de feuilles. Assez pour finir. Je m’active jusqu’au couchant. Je nourris les chiens avec le reste de poisson et prends une part. Il ne me reste plus rien. Je dois faire du feu mais je n’ai plus la force. Demain, oui, demain ce sera bien. Pas de pluie cette nuit, mais impossible de trouver une position confortable dans le hamac. En me retournant, comme dans le ferry, je craque ma moustiquaire. Et merde ! Je repense à ma mère “Toujours partir avec du fil et une aiguille, ça sert toujours !” Je dis tout haut “Ah bah oui, ça aurait servi !”

Je pique une colère noire le matin. Les chiens qui avaient compris de ne pas rentrer dans la cabane sont tous couchés autour de moi. Je crie “ALLU”, terme pour les gronder. Ils sortent tranquillement... Mais par les murs de la cabane ! C’est ça qui m’a rendu fou. J’ai hurlé contre eux empêtré dans mon hamac à essayer de sortir, la moustiquaire collée au visage. Bref, la matinée commence bien.

Je consolide les murs de la cabane et vais pêcher. Je monte une  ligne, cherche de quoi accrocher sur mon hameçon. Je ne trouve que quelques chapeaux chinois. Tac ça mord du premier coup. Un tout petit poisson. Puis un autre. Génial ! Une mer poissonneuse !

Mais c'était parler trop vide. Après une demi-journée de pêche, le soleil de plomb me chasse avec mon maigre butin. J’enchaîne avec le feu. Toute une aventure et un temps fou pour ramasser un peu de bois, confectionner un arc, tailler un bout de bois. Malgré la connaissance théorique, la pratique me résiste. Les chiens me regardent et ça me stresse ! Je décide de leur filer des noix de coco. Pareil, en théorie, je coupe un bout de bois en biseaux, l’enfonce dans le sol puis m’en sert pour enlever la première écorce de noix. ça me demande bien 15 minutes d’effort intense par noix. Je dégouline de sueur. Puis pour chaque noix, facile, comme un œuf à la coque mais avec la machette. Les chiens en redemanderaient presque. Mais pour moi, c’est bon. Assez de noix pour la journée. Le ventre me tiraille. Je monte à la plantation et je trouve une papaye pas mûre, deux oranges et des colas (citron) – Un bien pour mon aventure, un mal pour mon ventre, la plantation a été récemment ravagée par les cochons. Du coup, pas de tarot, le manioc n’est pas mûr. Il n’y a que quelques bananes, les papayes et l’oranger – Je déguste ma papaye croquante devant le couchant. Les chiens sont calmes, chacun dans son trou de terre. La vie est belle. “Merde, les poissons, je les ai oubliés au soleil !”

La nuit est agitée du stress pour les chiens, la pêche, la pluie, le feu et en plus j’ai faim. Je me lève avant le soleil, décidé à résoudre les problèmes un à un.

Je pars en forêt chercher d’autres feuilles pour étanchéifier mon toit. En route je trouve de l’amadou ! Rien de mieux pour démarrer un feu ! Puis je pêche. J’essaie d’attraper des crabes mais ils se jouent de moi. Trop rapides. Je pêche un petit carnassier. Je le découpe et le transforme en 6 poissons. Je les vide en grimaçant, l’un d’eux ne veut pas mourir, il bouge pendant que je lui retire les entrailles. Yeurk ! À la cabane, je me cogne contre ma boussole et tombe nez à nez sur la petite loupe qui va avec. Pile poil ce qu’il me faut ! Je découpe de l’amadou, positionne la loupe et après plusieurs essais, j'utilise une coque de noix. Je rajoute de la paille de coco, je souffle, ça rougeoie, la fumée s’épaissit, je souffle encore, rajoute des feuilles sèches et le tout s’embrase ! De belles flammes. Je gonfle le torse, tape dessus et lance un grave “Moi faire feu !”

Engaillardi par cette victoire, je retourne à la pêche le soir. Après un long moment, la touche du siècle. Je crois presque avoir accroché, mais non, au bout de ma ligne c’est bien vivant. Arrivé à la limite des rochers, je me rend compte que c’est une tortue…. Heureusement, le fil casse.

Les jours suivants ressembleront à ça. Une pêche hasardeuse qui me prend mes journées entières et le reste du temps libre à ouvrir des noix de coco. Pas de temps pour autre chose, ni réflexions, ni découvertes des alentours. Le cinquième jour, après 2 jours bredouilles, je monte à la plantation prendre une casserole pour bouillir quelques bananes vertes pour les chiens. Je suis déçu de craquer au bout de cinq jours, mais cinq bouches à nourrir nécessitent parfois des sacrifices…


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    Le chien mouillé

    Trouver sa place, construire sa cabane et passer entre les gouttes...
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    Rando, bulot, dodo

    Trouver un rythme, une routine, mais surtout un sens à cette aventure...
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