Rando, bulot, dodo

Trouver un rythme, une routine, mais surtout un sens à cette aventure...

M e voilà seul avec un chien. Lofi est passé la veille. De retour de son escapade dans l’Est.  Nous avons passé une heure ensemble à pêcher. Il m’a prodigué de précieux conseils. De toute façon, la pêche, je n’en peux plus. Il faut que je change d’air. De son côté, il part 10-15jours  chasser dans l’Ouest de l’île.

Me voilà donc seul avec un chien que j’ai nommé Mako. Nous marchons sur ma troisième tentative de chemin en direction de la caldeira. Parfois c'est un sentier de cochon qui devient impraticable. Parfois le sentier ne m’amène pas où je pense. Les jambes me piquent : les boutons de moustiques grattent, la végétation griffe. La machette aide bien mais ne fait pas tout. Encore perdu, mais assez haut pour avoir de la visibilité, je trace ma propre voie “droit dans le pentu”. Je manque d’énergie et je souffre, mètre après mètre, pour atteindre le sommet à 500 mètres. Mes 2,5 litres d’eau disparaissent aussi vite que la sueur ne quitte mon corps. Puis la descente est tout aussi complexe.. Je vais et je viens sous l’air dubitatif de Mako pour trouver un angle d’attaque. Xavier m’avait parlé d’un sentier d'accès aux cratères qui reste invisible à mes yeux. Je contourne le volcan actif et trouve une pente accessible. Je dévale en glissade semi contrôlée jusqu’au bas d’une grosse colonne de fumée. Le soleil tape fort et je n’ai plus qu’une idée : atteindre le lac pour m’y baigner. Alors qu’il semble à portée de marche, ma lente avancée s’éternise, j’enchaîne les sols accidentés, pentus, volcaniques, instables, la végétation dense. Mètre après mètre, je perds la raison. je répète comme un mantra “Peu importe les difficultés, je me baignerai”. J’atteins finalement une langue gravillonnée qui m’aurait fait gagner de bonnes heures. Je la descends en courant “Oui, je la veux cette baignade !”
Je suis stoppé à 10 mètres par un mur végétal sur tapis de roche instable derrière lequel miroite l’eau du lac. Je me lance dedans coupe coupe à la main. Acharné comme un type dans le désert vers son oasis , une guêpe me pique “Aïe !”, puis deux, je perds l’équilibre et mon tibia râpe contre une pierre. Deux autres piqûres dans le dos m’achèvent. Je hurle, “C'est bon, si vous arrêtiez de m’agresser, je pourrais m’éloigner !” elles ont dû m’entendre. Je me relève, le tibia en sang, la cuisse et le dos me lancent. Mais bordel, je peux me baigner !

Me voilà donc seul avec un chien, une nuit, je me réveille en panique, comme un gosse en pleine terreur nocturne. Je pense aux miens qui sont loin et je panique. Je pense à la solitude qui m’entoure et ça m’oppresse. Je pense aux contours de l’île, comme un poisson rouge dans son bocal et j’étouffe. Chaque pensée me ramène à du négatif. J’attends venir le matin maussade. Je ne vais pas très bien. J’ai besoin de parler. J’envoie un texto à mes parents, ça m’en donne l’impression. Mes pensées vont dans tous les sens. Mais plutôt celui de me demander ce que je fais ici. Quel est l’intérêt de cette expérience à se lever chaque matin, aller pêcher, couper du bois, faire du feu, ouvrir des noix de coco, nourrir les chiens, aller dormir et ainsi de suite… Il faut que je sorte de ce cercle.

Me voilà donc seul avec un chien. Les précieux conseils de Lofi en poche.Toute ma pêche dépend des coquillages que j’arrive à dénicher. Des chapeaux chinois, des sortes de bulots gros comme des escargots, des bernard l'hermite. Mais le secret, ce sont les crabes. Quasi impossibles à attraper de jour, ils sont comme des bandits pris sur le fait la nuit et se figent. Je commence à pêcher au clair de lune. Et mon ventre me dit merci. Car quand le corps va, qu’il a de l’énergie, il peut compenser les passages à vides du moral.

Vous l’aurez compris, cette période est en dent de scie. J’alterne les journées qui m’apportent, où j’apprends, je découvre, et les journées d’épuisement physique et moral. La nuit du 10eme jour, je dors la première fois hors de ma cabane. Mon hamac est installé sous une bâche plastique trouvée dans la forêt. Ça a vachement de gueule. Je fais un feu dont la fumée éloigne les moustiques. Il pleut. Assis contre un arbre, le Kao pyramidale comme paysage dans une trouée de végétation, je suis bien. Je grignote une banane. J’ai comme une révélation. Je viens de comprendre mon expérience. Je ne suis pas de ceux qui survivent bloqués dans une cabane. Je veux découvrir, explorer, et non attendre que le temps s’égrène.

Je suis dans un certain spleen ; Au dessus de ma tente il pleut. En dessous, je suis heureux.


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