L'inévitable chute de la noix de coco

J'essaie, je rate, j'essaie différemment, je progresse. Et je recommence...

J e mesure les progrès depuis mon arrivée dépeinte dans ce tableau triste de ma silhouette accroupie au milieu d’une cabane chimérique, la pluie ruisselante sur mon visage. J’ai passé deux nuits vraiment humides dans mon hamac. Le torse humide, la hanche qui perce, les chevilles et les pieds mouillés. J’en frissonne encore. Et depuis j’ai consolidé le toit. J’ai appris de mes erreurs, appris à tresser les feuilles de palmes par l’observation de celles récupérées. Pour finir, j’ai trouvé une bâche plastique, pas large, mais longue d’au moins 2 mètres. Qu’il fait bon dormir au sec !

Pour le poisson, ça reste un mystère. J’ai les bons appâts, crustacés et coquillages, mais des jours ça mord et des jours pas… La ligne par le fond, j’ai dû abandonner. Trop de casse. Je risquais de me retrouver à court d’hameçon. J’ai essayé avec un bouchon flottant (technique apprise en Corse. Merci Max !) mais en corrigeant le problème de casse, ça diminuait aussi mes quantités pêchées. Finalement, la bonne vieille canne à partir d’une longue branche de bois, ça reste efficace. Installé tranquille sur un rocher, on se la jouerait presque… Pêcher sans rien, bah j’ai pas réussi. J’ai construit un mini barrage pour qu’à la marrée basse des poissons soient emprisonnés. Mais d’une, les poissons savent sauter… Qu’on se le dise. Et de deux, ils sont plus rapides que moi et mon harpon en pointe durcie dans le feu.

D’ailleurs parlons-en du feu. J’avoue, le feu par friction reste un mystère pour moi. La loupe marche bien, mais ici, le soleil joue à cache cache avec les nuages. Et attendre une heure pour allumer un feu, je ne tenais plus. La pierre à feu m’a sauvé. L’expérience m’a permis de dénicher de l’amadou, d’identifier ce qui marche (Paille de coco, fibre de branches de cocotier, cœur de tronc pourri, épines de pins) de ce qui marche moins (brindilles, feuilles sèches, herbes sèches). J’ai maintenant des techniques bien plus redoutables pour démarrer un feu sans papier qu’avec un simple briquet. Bon en toute transparence, jour 13 – est-ce un signe – après un jour de pluie entier, et une bonne pêche que je n’envisageais pas manger crue, oui, je l’ai sorti le briquet et utilisé. Mais le plus dur était derrière moi. Ne refusons pas ce progrès magique d’une flamme surgissant de nulle part !

J’ai cherché à varier les repas. En dehors de noix de coco, de bananes, de tarots, de poissons, quelques rares oranges et plus rares papayes, il faut être inventif en recette. Alors mon truc c’était la créativité sur la cuisson. Le poisson j’ai pas trouvé mieux que la grillade. J’ai essayé le fumage, mais je veux même pas en parler… Une catastrophe : du poisson cru qui sent la fumée… In-man-geable. Le tarot, j’ai essayé directement dans le feu. Efficace malgré la perte de la moitié du légume brûlé par la braise. Enterré : ça ne cuit qu’un seul côté et donne un très bon goût de terre. Miam ! Dans le four de pierre, j’ai cramé une quantité de bois phénoménale pour une cuisson à cru. En brochette, ça passe, mais c’est long, ça prend un temps, mais alors un temps !

Et du temps, j’en ai sur Tofua. J’égrène les secondes en comptant les piqûres de moustique innombrables qui parsèment mes jambes et mes bras. Le truc bête c’est qu’en dormant on bouge, et arrive dans la nuit que des parties du corps à nues se retrouvent contre la moustiquaire. C’est un festin offert aux insectes suceurs. Sac de couchage fermé, vêtements longs pour la nuit, c’est mieux. La fumée, ça marche bien mais pour s’endormir, l’idée semble tout de suite moins bonne. J’ai trouvé le bon compromis en laissant se consumer des noix de coco à deux coins de la cabane. ça dure longtemps et ça vous laisse de quoi faire de beaux rêves....

Des rêves de ballade par exemple ! Sur Tofua on marche tout le temps et on se perd tout aussi souvent. En remontant de ma visite au lac, j’improvise une route de retour pour me retrouver à marcher sur un champ de paille recouvert de fougères épineuses. La paille me prend jusqu’au dessus des genoux. Les fougères jusqu’au torse. J’avance ainsi à la force des jambes, des bras, de toute partie utile de mon corps, me jurant “plus jamais !”. Dorénavant, je n’hésite plus à faire demi-tour et à prendre mon temps quand le sentier disparaît à mes yeux. Les indices sont nombreux et je progresse chaque jour pour les déceler.

J’aurais pu prendre l’analogie de l’enfant qui tombe du vélo. C’est en chutant qu’on apprend. Mais assis à écrire sous un cocotier, je me dis que la noix de coco qui ne tombe jamais gardera cette magnifique vue d’en haut, mais n’aura jamais la chance de devenir cocotier. Alors tombons, trompons nous, et ne cessons jamais de nous tromper pour grandir.


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