L’ambiguïté de la prière

Au fond du gouffre, de la caldeira, de mon énergie, de mon moral...

J ours bien maussades que je m’apprête à vivre. J’ai pris mes marques, les piqûres vont mieux, la nourriture est là et j’ai prévu de fumer du poisson pour 3 jours de trek : Le tour de l’île par le haut. Oui mais bon… Tofua me rappelle que je ne suis pas aux commandes. La pluie et le vent s’installent en force au-dessus de l’île. De mon hamac, bien à l’abri, j’en suis réduit à observer les éléments se déchainer. Je regarde « télévision naufragé » à travers la porte de ma cabane. Deux longues journées à me balancer, écrire un peu, lire ce que j’écris à haute voix, chanter, me raconter n’importe quoi.

Au matin du troisième jour, le vent est là sans son amie la pluie. Je bondis de ma cellule prépare trois noix de coco pour moi et Mako, j’ai deux oranges, une banane verte et trois beaux tarots. Cette fois l’ascension se passe bien. Arrivé en haut, je trouve un sentier en direction de l’Est. Malgré de violentes bourrasques, je parcours un tiers de l’île rapidement à travers une végétation rase. La vue est somptueuse. L’océan en colère d’un côté, le volcan en fumée de l’autre, et moi funambule entre ces deux monstres de nature. La piste humaine se termine. C’est un sentier de cochon que je suis jusqu’à une muraille verte. Trois difficultés me font rebrousser chemin à contre cœur. Le sol boueux des dernières pluies, la densité de lianes qui m’imposent un rythme de 100m/h et un sol piégeux car parfois, sous la végétation, il y a des crevasses. – frayeur – Tombé jusqu’aux épaules, je décide de faire machine arrière. De toute façon, impossible d’installer un campement ici.


D’en haut je repère des trouées dans de végétation avec des piscines naturelles. Nouveau cap. Je descends par le sentier jusque-là invisible à mes yeux. Une descente vertigineuse. Puis je m’enfonce dans la forêt. Cette fois-ci c’est très instable. Je bifurque et me retrouve au milieu d’une mer de roches volcaniques. Instable aussi mais au moins j’y vois.
Et comme si l’histoire se répétait, à 10 mètres de la piscine, une pierre se dérobe, je bascule, me rattrape d’une main. C’est le sac qui prend tout. Je lâche “ouf, ça aurait pu être bien pire” avant de voir ma main en sang. La pensée de la trousse de secours bien rangée dans la cabane me rappelle à ma connerie. Et mon sang se glace soudain. “Qu’est-ce que j’ai fait ! Mais j’ai pourtant mal nulle part ?” Je sens un liquide chaud goutter sur mon mollet.
Je suis presque soulagé de voir que c’est ma bouteille d’eau qui est percée… J’arrête là les frais. Au prix d’un gros effort physique et d’une concentration intense, je retourne sur mes pas, équilibriste sur les pierres.
Je m’installe sur un sol stable en lisière de forêt.


La nuit est blanche. Le vent violent sur la mer s’engouffre dans le cirque et tourbillonne. Comme une ola, il revient toutes les deux minutes secouer la forêt. Des bruits de branches qui tombent et d’arbres qui craquent me font sursauter. Puis la pluie tombe abondamment. Finalement c’est Mako, avant les premières lueurs du jour qui attrape un cochon. Ça aurait pu devenir l’histoire du séjour… Mais dans ma tête, impossible d’aller voir : J’ai mal à la main, j’ai froid, j’ai faim, je ne sors pas du hamac ! Au prix d’une patience exceptionnelle, d’une prise sur moi, de mon moral, de mon physique, je tiens ainsi la journée entière dans des conditions dantesques. Je suis dans une sorte de transe. Prisonnier d’un bout de plastique. J’ai l’impression que l’île ne veut pas de moi et qu’elle m’envoie tous les signes possibles.
La seconde nuit se passe mieux. Les pluies se distancent. Je fais cuire quelques tarots au goût de terre que je mastique en grimaçant.

Comme un pénitent en pèlerinage, je me traine vers le petit cratère. L’effort me semble insurmontable malgré le peu de distance. Je mange une banane espérant en tirer quelque énergie pour terminer la journée. Assis en plein vent qui insiste chaque 2 minutes que je ne suis pas le bienvenu, j’ai envie de pleurer. J’hurle “Y’a quelqu’un ?!”, Mako, en pleine micro-sieste lève une tête interrogatrice. Plus fort “Y’AAA QUELQU’UUUUNNNN ? !!!” Et alors que l’écho me répond par la négative, je lance sur la même intensité “Tu peux éteindre le ventilo ?...” Et j’éclate de je ne sais quoi… De rire, de pleur, d’exaspération. Mako me regarde toujours. En fin de crise, j’ai comme une révélation. Quelque chose me manque énormément. Quelque chose qu’on n’a pas quand on est seul. C’est le rire. Voilà 18 jours que je n’ai pas ri. Des flashs de fous rires me reviennent. Ça me calme. Je souris avec une larme à l’œil. Je lance à Mako incrédule “T’as raison, si on ne marche pas, on n’avance pas…”. Direction le volcan actif.

Je monte en oblique sur la surface torturée mais stable. Devant, le gouffre, l’air chaud pique le visage. Une colonne de fumée monte droit avant d’être plaquée à l’horizontal par le vent tempétueux qui fait claquer mes vêtements comme un homme en chute libre. Une impression de fin du monde. Une expérience presque mystique qui débloque les dernières ressources d’énergies qu’il me faut pour sortir de cet enfer.

La montée quoi qu’éprouvante pour moi est facilitée par le vent dans le dos qui me souffle “bon débarras, rentre chez toi”.

Mako disparaît dans les fourrés. J’ai l’impression d’être au bout de tout. De moi, mes ressources, de mon moral, de cette expérience. J’entends Mako aboyer et quatre chiens se précipitent vers moi. Lofi est rentré plus tôt avec une nouvelle. Mon bateau serait annulé. Il faut rentrer plus tôt. Dans trois jours.

Ce soir-là dans mon hamac, je prie pour que le bateau soit réellement annulé. Puis je me reprends et prie pour qu’il ne le soit pas. Puis je prie pour… puis je m’endors.


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